Cette jeune clichoise vient d’intégrer la prestigieuse école des beaux-arts de Paris. Réussite qu’elle doit notamment à la (ré)conciliation de ses deux cultures, française et marocaine.
800 candidats pour 70 reçus. C’est le ratio annuel d’admission de l’illustre école nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Habiba El Idrissi n’y croyait pas mais elle fait désormais partie des étudiants d’une des institutions les plus réputées de France. Difficile à croire, effectivement, pour une jeune fille, habitante de la résidence de la Stamu « depuis toujours », qui considérait il y a peu que « l’art n’était pas pour des gens de [sa] catégorie sociale ».
Une des clés de la réussite exemplaire d’Habiba se trouve là : dans la volonté rageuse et revendicatrice de briser les barrières et l’autocensure qui pèsent sur les jeunes des quartiers populaires. Parce que « les clichés, autant que nos logements, nous enferment, mais aussi parce qu’on se cloisonne tout seul ». Pour elle, « ici, il faut faire tout comme tout le monde, sinon on est rejeté ».
Adolescente et consciente des mécanismes de son environnement, Habiba se sent déjà « différente ici ». En décalage. Différente ici mais aussi différente « là-bas ». À Paris, ou dans son école préparatoire qui la conduira finalement aux Beaux-Arts. « Trop maghrébine » là-bas, peut-être « trop blanche » ici. Parfois, Habiba cède tout de même à la pression. Puisqu’on réussit à lui faire croire que l’architecture et l’art sont bouchés pour elle, elle fera du commerce, « comme tous les bacs ES du lycée Alfred-Nobel ». Mais elle craque : « l’esprit de compétition et de manipulation » lui fait violence. À l’été 2014, c’est l’équipe de la Mission locale pour l’emploi qui lui « redonne confiance ». Le conformisme ne lui va définitivement pas. Elle suivra son chemin. Et pas d’excuses pour un éventuel échec. Ses parents, d’origine marocaine, lui ont transmis un « exemple de courage et de détermination ». « On n’a pas le droit de gâcher ça », soutient-elle. C’est finalement ce « biculturalisme », stigmatisant des deux côtés, qui change tout. « J’ai misé sur ce que j’étais pour rentrer aux Beaux-Arts », souligne-t-elle. Jusque-là vécues comme contradictoires, ses deux facettes identitaires trouvent l’harmonie dans son expression artistique. Elle assume. Et elle convainc les jurys par sa spécificité et son aplomb. « Avant, j’avais le cul entre deux chaises, résume-t-elle trivialement, maintenant j’ai les pieds dans deux mondes ». Plus de risque de chute : Habiba tient fermement sur ses appuis. Et elle remercie, finalement, son environnement de lui avoir donné tant de raisons de se battre.
Portrait publié dans Le mag n°105 Novembre-décembre 2015